46 ans - Mise en bière

Publié le par Esther

- II -

 

« Mise en bière »

 

Aujourd'hui, j'ai 46 ans. Et deux jours. Je ne sais déjà plus où s'est arrêté mon récit. En confinement, comme le reste du monde ou presque, depuis plus d'une semaine, je radote, tourne en rond, angoisse, et réfléchis. A quoi sert donc ma vie, à quoi servent donc nos vies ? La vraie question est plutôt de savoir à qui servent-elles ? Si j'ai rapidement acquis la sertitude de n'être utile à rien, j'ai vite compris que serais utile à quelqu'un, d'une manière ou d'une autre. Privés de tout, nous observons les comportements de nos contemporains, dans les starting block de la surconsommation, ils attendent. Quand vais-je pouvoir à nouveau commander sur Amazon, quand vais-je pouvoir enfin retourner dans mon Apple store acheter le gadget à la con, le nouveau téléphone XXIIIème génération. Pixels en plus. Pour prendre des photos qu'on ne regarde jamais. Pour prendre des selfies de moi, de ma bouffe, de ma vie, des mes rouleaux de papier toilettes. Sommes nous à ce point aspirés dans le tourbillon de la vacuité ou saurons nous un jour nous en extraire ? Sommes nous capables de taper un jour du pied, du poing pour dire à tous ceux du dessus qu'ils ne vivent que parce que nous avons cédé à la vacuité de nos existences ? Je regardais l'autre jour un film dans lequel un village était autonome, à une époque depuis longtemps révolue, et les habitants ne semblaient pas si malheureux.

 

Apprendre à se confronter à l'autorité… Un jour, alors que j'avais cinq ans, je m'amusais naïvement à créer des accidents avec mes voitures miniatures. Je ne me souviens plus trop de l'amusement que cela ma procurait, mais néanmoins, je m'amusais bien. Pour une raison qui m'est encore inconnue, cela a rendu mon père fou de rage. Il s'est alors emparé d'une des voitures et a mis un coup de marteau dessus, comme pour me dire « tiens, tu en veux une vraiment cassée ? ». Alors qu'il s'approchait d'une seconde voiture, je l'ai saisie, et j'ai couru au fond de la chambre, la réduisant moi-même en miettes, à coups de pieds, comme pour lui signifier que celle-ci, il ne l'aurait pas. Vexé comme un poux, il a fait demi tour.

 

Nous pourrions peut-être arrêter le superflu, pour leur montrer qu'ils ne sont en haut que parce que nous les y avons hissés. Tout comme ces « célébrités » qui n'existent que parce qu'on les regarde exister. Combien de temps vont-elles tenir sans exposition ? Et si le monde prenait tout à coup conscience d'une machine qui tourne à vide comme en sont quelques rouages tels que Cauet ou Hanouna ? Et si tout à coup, nous prenions conscience que pendant que des milliers, que des millions d'êtres humains crèvent la gueule ouverte, une poignée d'imbéciles gagnent des fortunes à ne rien faire d'autre qu'à mouliner du vent. Terrés que nous sommes dans nos espaces de vie que nous regardons finalement si peu. Tous terrés. Eux y compris. Mais nous existons toujours car nous ne sommes personne au quotidien. Ils ont cessé d'exister pour quelques semaines. Comme quoi, il suffirait de peu pour qu'ils cessent définitivement.

 

Je suis entré alors dans un bureau, à l'âge de 25 ans. Et très tôt, j'ai compris. J'ai compris que j'allais être payé, non pas à ne rien foutre, mais à ne rien produire. Des réunions interminables, pour écouter des gens incompétents, brasser de l'air pour monter sur la chaise si convoitée du pouvoir. Pour être élu maître du pouvoir des inutiles en masse. Imaginez donc ramener à l'essentiel nos activités, boire, manger. Qui a vraiment besoin de Coca ? Qui a vraiment besoin de plats pour régime ? Qui a eu intérêt à nous vendre des clopes pour nous rendre accroc en nous culpabilisant en parallèle, nous rappelant que c'est néfaste pour la santé ? Qui organise, à coups de campagnes aux frais du contribuables, des batailles en ordres dispersées contre le tabagisme ? Et contre l’alcoolisme ? Qui a eu intérêt, il y a bien longtemps, à nous faire croire que le vin français était le meilleur au monde ?

 

Quand je suis arrivé dans mon bureau, des missions m'ont été confiées. Rares sont celles qui sont arrivées à terme. Faute de moyen, de motivation, ou de réels enjeux. Certaines d'entre elles étaient même clairement inutiles, et on s'en cachait à peine, mais nous le faisions tout de même. Car nous étions payés. Aujourd'hui, on a prouvé que délocaliser à outrance mettait en jeu, en péril, toute une économie. Mondiale. Mais les entreprises, les grands noms l'ont déjà annoncé, il n'est pas question une seule seconde de relocaliser. Les dividendes n'attendront pas. Rien n'arrêtera le progrès. Mais de quel progrès au juste s'agit-il ? En attendant, nous allons faire nos courses la peur au ventre. Et je me dis que cela doit bien les faire rire du haut de leur fenêtre. « C'est une révolte ? Non, c'est une mise en bière. »

 

Encore un premier jour du reste de ma vie à passer.

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Sortie du tunnel, retour à une vie ordinaire avec sa lutte des classes qui a déjà été gagnée par les puissants, les premiers de cordées ! Reste, nous, à vivre, modestement, selon nos convictions.
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