46 ANS. Premier jour.

Publié le par Esther

46 ans

 

Aujourd'hui, j'ai 46 ans. Au jour prés. Mais je n'ai pas toujours eu 46 ans. Il y eut une période où, paraît-il, le monde a tourné sans moi. Je n'ose y croire. Pire, il paraît que le monde me survivra. Étrangement, je doute plus encore ces jours-ci. J'ai commencé à douter très tôt. Vers 11 ans. Je trouvais ça louche que l'on veuille m'apprendre des théorèmes improbables, des langues étrangères sans savoir si j'allais jamais foutre les pieds hors des frontières. Je trouvais ça louche que l'on m'inculque que mes ancêtres étaient gaulois. Ah bon ? J'avais un grand-père martiniquais. Et mon arrière grand-père était gitan. Alors, mes ancêtres… gaulois. Et puis… C'était quoi ce prof de sport à la con qui me donnait des conseils pour être en bonne santé en me disant de faire quatre fois le tour de la cour alors qu'il se roulait son clope devant nos yeux. « Si tu fais pas le tour de la cour, t'as zéro ! » Hannnn… Zéro en sport. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de ma vie si je ne fais pas de jogging. Bon. C'est vrai, aujourd'hui, je fais moins le mariolle. C'est le chef des enrhumés qui l'a dit : Si c'est pour faire du jogging, t'as le droit de sortir. Voilà. Si j'étais sportif, je pourrais chopper une saloperie. Une tête bien pleine, un corps bien fait. C'est que ça renvoie de belles images, les affiches sur les bus et les gros panneaux Decaux qui bouffent de la nuit et de la lumière H 24. Faudrait voir à les rentabiliser. D'ailleurs… Ils sont toujours allumés ? Et pourquoi on continue à surexposer les espaces publics la nuit s'il n'y a plus un rat ? Pas compris. Enfin, bref, je me perds dans mon récit. Fut une époque donc, je n'avais pas encore 46 ans. Mais déjà, j'avais compris deux ou trois trucs. En physique, on m'a dit un jour, moi qui étais vaguement indiscipliné : « Si tu arrêtes de m'emmerder en cours, je te file huit toute l'année ! ». Tiens… Ca me rappelle des choses. Si je te file le Smic, t'arrêtes de gueuler dans la rue… C'est bien de formater plus jeune, on prend plus vite le pli.

 

Vint ensuite l'échec scolaire. Enfin, l'orientation, mais ça fait plus joli. Moi, je voulais faire des études de lettres. D'abord, il y avait plein de jolies filles, et puis j'ai toujours préféré Baudelaire et Rimbaud à Bagnoles Magasine. Chacun ses travers. Mais bon. Pour faire des études de lettres, il fallait aller dans Paris et moi, je venais de la banlieue, alors autant dire que ça tenait du parcours du combattant. Mais nous y sommes allées, avec ma mère. « Désolé, mais là, avec votre niveau en Maths, ça ne va pas être possible ! » « Ah bon ? Non parce que moi, j'en ai rien à carrer de Pythagore, et je ne pige rien aux foutues équations à plein d'inconnus, mais je peux vous citer Le Bateau Ivre !, non ? Bon… Tant pis alors. ». Du coup… je voulais faire ingénieur du son. Avoir un métier passionnant dans un domaine qui me passionnait. Un rêve pour tout étudiant qui se respecte. « Vous maîtrisez le théorème de Pythagore ? », « Ah putain, mais qu'est-ce que vous avez tous avec ce foutu théorème ?  Je connais toute l'histoire des Beatles et des producteurs, voire des ingénieurs du son . Ah, on s'en fout, faut le théorème. Tant pis alors. ». Et comme il fallait bien me trouver un petit quelque chose, on m'a collé derrière une machine outil. Durant les deux premières années, on m'a appris comment construire moi même une pièce en métal. On ne peut pas dire que cela m'ait grandement passionné. Et puis les deux années qui suivirent, on m'a appris à le faire sur une machine contrôlée par ordinateur, pour en produire cent fois plus, mais avec un seul mec. « Mais du coup, pourquoi vous formez cent mecs si c'est pour n'en garder que dix ? Garder les meilleurs ? Ah ok. Et les 90 autres ? C'est une balle dans la nuque ? ». Et oui. En 1994, comme encore aujourd'hui, très probablement, si tu étais un mec, tu étais encore fait pour tenir une clé à molettes. Comme pour les filles, dont la main a été spécialement conçue pour tenir un fer à repasser, c'est bien connu. C'est même dit dans les bouquins ou sur les cartons de jouets. Et puis une fille ça sent bon, c'est la pub qui le dit. Elle prend sa douche, elle est jolie et a un tour de taille grand comme un serre tête. D'ailleurs, les hommes eux, sont tous taillés comme des armoires normandes, bien coiffés avec un sourire éclatant. Moi qui n'avais déjà presque plus de cheveux, qui était gaulé comme deux cure dents et avec des dents déjà flinguées par un traitement médical, très tôt j'ai su que je ne saurai jamais où me situer. Ca n'a pas loupé. A trois semaines du Bac, je me suis levé en plein cours et je me suis barré. Salut, mais là, non, vraiment, ce sera sans moi. Je n'avais pas encore 46 ans, loin de là, mais je sentais bien que ça manigançait des trucs et des machins plus haut. Pas clair tout ça. Par un heureux concours de circonstance, j'ai trouvé du boulot. Agent de sécurité. Un peu comme si Bozo le Clown trouvait un poste dans le contre espionnage pour passer inaperçu. Mais bon. Ca payait potablement. Probablement… Etrange mot. Potable et ment. Comme si, finalement, on vous vendait le potable comme pas si mal, mais qu'en fait… Je me souviens avoir lu Bakounine et Rousseau. « Les rêveries d'un promeneur solitaire ». Et « Cent ans de Solitude » aussi. Je sentais bien se profiler quelques traits de caractère… Et puis, comme tout le monde, j'ai eu un portable. Au début, je trouvais ça épatant. Et puis au bout de deux jours, je me suis dit : »Mais donc, tout le monde peut me joindre n'importe où et n'importe quand ??? ». Je n'aurais jamais du lire Orwell. Ah oui ! Je ne vous ai pas dit. J'ai lu Orwell et Barjavel très tôt. Important pour la suite. S'il y a une suite. Oui, le téléphone. J'ai trouvé ça suspect. Très vite j'ai coupé le son. Et puis j'ai appris à ne pas répondre. J'ai eu le permis de conduire en même temps que le droit de vote et là aussi, j'ai compris qu'il y en a un des deux qui allait me servir plus que l'autre. J'ai cessé de regarder la télé vers quinze ans. On tentait trop souvent de me vendre des choses dont je ne comprenais pas du tout l'utilité. Qui a besoin d'un bagnole qui roule à 250 k/h, alors que les routes sont limitées à 130 ? Qui a besoin de chaussures pour courir comme un dingue ? A part les Black Blocks peut-être, mais ils étaient encore un peu jeunes. Et puis… On m'a envoyé à l'armée. C'était bien l'armée. Envoyé dans un bled paumé, on stoppait ma vie pendant dix mois. Pour quoi faire ? Picoler et installer des jeux vidéos sur l'ordinateur de mon chef. Que je devais respecter comme si c'était mon père. J'avais envoyé chier mon père à treize piges et me voici obligé de lécher le cul à un gros plein de soupe à moitié libidineux et macho. Je me suis fait quelques copains. Dont un qui venait de la Martinique. Ca le faisait rire car je comprenais le créole. Certes, je ne le parlais pas, mais je pigeais ce qu'il disait. Et notre gros con de chef l'appelait le petit nègre. Racisme et bonne humeur. Pour un anti militarisme comme moi qui ne rêvais que d'anarchisme, j'étais à ma place. Dix mois à tourner à vide. Tiens… On m'apprenait des trucs dont je me foutais et qui ne me serviraient probablement à rien. Pythagore ? Encore lui ? Ah non, autant pour moi, République. C'est un autre théorème, mais tout aussi grotesque, fumeux et vain. Et puis, j'en suis sorti. Après à avoir appris à encaisser les coups ? Non. L'alcool. Ah… L'alcool, parfois, ça aide à cogner sur les femmes et puis à s'excuser ensuite. Oui, mais moi, je ne veux pas cogner sur les femmes !!! T'es con, c'est les seules sur qui tu vas encore pouvoir cogner en toute impunité. Alors qu'arracher la chemise d'un haut cadre d'une entreprise bien sous tout rapport qui liquide du dividende comme on liquide du salarié, c'est interdit et puni par la loi. Aujourd'hui, j'ai 46 ans, je ne sais pas encore pour combien de temps. Le monde vit actuellement claquemuré. En se demandant s'il ne va pas crever. Sous les balles ? Non, sous une quinte de toux. Liberté, Egalité, Fraternité… Trois mots gravés dans le marbre lors d'une révolution. Saviez vous qu'à ces trois mots utopistes, un quatrième était prévu mais qu'il a été enlevé au dernier moment ? Mais qu'il est quand même inscrit dans la constitution ? Et que si cela n'avait pas été le cas, nous n'en serions pas là ? Je ne vous dis pas tout, on e reparlera.

 

En direct du premier jour du reste de ma vie.

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