Matana Roberts - Coin Coin Chapter Four: Memphis (2019)

Publié le par Esther

 

La servitude a la peau noire. Depuis longtemps, depuis toujours. Depuis trop longtemps. La rage au ventre, chaînes enracinées aux chevilles pour conduire les champs de coton jusque dans les assiettes bourgeoises des anglais. Matana Roberts reprend le flambeau depuis quelques années de ces artistes aux racines gorgées de sueur et de sang, qui contaient l'histoire de triste mémoire d'un peuple contraint à plier sous le poids de l'avidité des nantis.

Issue de la scène de Chicago dont elle est native, cette saxophoniste s'inscrit dans la continuité des géants du jazz tels que Max Roach et Albert Ayler dont elle pourrait être une sorte de savoureux mélange. Aprés avoir suivi des cours d'improvisation musicale, suite à ses différents cours de saxophone, de violoncelle et de basson, elle va intégrer l'AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians), association en étroite relation avec la scène free jazz, abritant notamment Jeff Parker, membre de Tortoise aprés l'ère David Pajo.

Rapidement, elle va voler de ses propres ailes pour dévoiler une singularité et des sonorités intéressantes et particulièrement investies dans les fondations historiques de ces honteuses exploitations qui ont écrit les pages les plus sombres de l'histoire américaine.

Aprés quelques disques, elle va composer des albums ayant pour titre principal : Coin Coin Chapter pour évoquer l'histoire de l'esclavagisme et plus largement, la liberté et le destin des afro américains. Trois premiers albums aux titres tous aussi évocateurs ont déjà vu le jour :

COIN COIN Chapter One: Gens de couleur libres (Constellation, 2011)

COIN COIN Chapter Two: Mississippi Moonchile (Constellation, 2013)

COIN COIN Chapter Three: River Run Thee (Constellation, 2015)

En 2019, elle a donc sorti un album magnifique, quatrième chapitre de cette épopée, en évoquant, à sa manière, Memphis. Memphis pourrait aussi être considérée à juste titre comme une nouvelle terre de spoliation pour ce peuple savamment exploité de différentes manières. Entre déclamations impressionnantes, coups d'archer et fulgurances free jazz d'un saxophone écorché, on peut croiser les fanfares d'Albert Ayler, et le Max Roach de son sublime We Insist ! - Freedom Now Suite . Impossible également de ne pas penser, dans une moindre mesure à l'Art Ensemble Of Chicago, ou, par instants, à une version moins tranchante de Sonny Sharrock. Néanmoins, elle parvient à fondre ces différentes influences et livre donc ici son quatrième chapitre, tout aussi subtil et vindicatif que les autres. Un album parfois difficile à aborder, sans doute, mais aussi sublime et explosif, qui démontre une fois de plus que le jazz, en 2019 n'est pas mort et qu'il parvient à être toujours aussi intéressant, loin de ses conventions aseptisées et de ses productions lisses et sans relief.

Publié dans Jazz

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
J'avais commencé à écouter, il faudra que je reprenne , un peu ardu pour moi mais pas inintéressant ☺
Répondre
E
Pas si difficile que cela en fait. Si le Free Jazz ne rebute pas, c'est vraiment un disque passionnant.
J
Je crois que je vais le chercher cet album ! Je viens d'écouter les 10 premières minutes, et c'est tout a fait ce que j'aime ! Toute proportion gardée, je pense aussi au groupe Ziskakan dont je parle dans ma vidéo et une des chansons de leur second album qui évoque l'esclavage. On y entend aussi la rage que ne peut que provoquer de telles évocations !
Répondre
E
Oui, c'est une disque absolument remarquable. Vraiment. Mais toute sa discographie est un sans faute. Je suis en train de chercher les autres, mais ils sont rares…. donc chers… :-(