Il n'est de meilleur compagnie qui ne se quitte.

Publié le par Esther

La plénitude, cette réflexion de soi, belle au point de la vouloir éternelle, était au seuil de mon antre, il y a maintenant bien des années. Tout a commencé par cette sensation, apesanteur transie de béatitude, que le silence ne faisait qu’accroître d’heure en heure, de jour en jour, puis d’année en année. Un sentiment amoureux n’aurait pu souhaiter de meilleur départ, mais il n’en est que potentiellement, et de toute façon, partiellement question. Au mieux, il se ferait toile de fond, détail dans la cène, point sur le i, rien de plus, mais malgré tout, une ligne de départ. Bien vite, l’échec essuyé – car ici tout résulte d’un échec – en suspend ou en devenir, perd de son attrait, seule subsiste la solitude, inévitable après la désillusion. Le paysage alors s’esquisse, se profile, pour enfin prendre corps sous les traits d’une demeure. Chaude, accueillante, au premier abord, ne révélant ses névroses que plus tard, une fois la confiance installée.

 

Le décor se plante dès l’aurore : une clairière légèrement décharnée aux couleurs automnales et aux sapins déplumés, tels des squelettes plantés en rangs d’oignons. Par endroits, on peut distinguer des chemins qui s’ouvrent pour mourir aussitôt comme pour dire qu’il est impossible de s’évader de ce paradis perdu. La pluie, atonale et confuse, tombe sans discontinuer, semblant ainsi vouloir camoufler la rumeur qui gronde au sein de l’antre. Les abords, sans rigole apparente – rien n’est drôle ici-bas – submergés depuis toujours, rejettent au loin les corps d’abord étrangers, puis familiers. Ils finissent par ne plus faire de tri, et sans sélection aucune, renvoient aussitôt la plus petite tentative d'entremise. La maison est petite, réservée, pour ne pas dire timide, sans bruit comme désireuse de ne pas faire partie du tableau. Surtout pas décorée, et encore moins fleurie, elle n’inspire rien de particulier, et pousse à penser qu’elle se trouve là un peu par hasard. Modeste et sereine, c’est l’impression qu’elle donne. Trop longtemps, je me suis fié aux apparences. A l’intérieur, les flammes lèchent une bûche, déversant cette chaleur cloisonnée, et diffusent une lumière orangée. Au mur, la cascade de Giger semble vouloir s’écouler à nouveau, mais patiente, elle s’est persuadée que son heure viendra. Figée comme un espoir, elle attend de pouvoir inonder de sa toxine l’éventuel étranger qui pénètrerait en ces lieux. Un escalier en bois monte, marche après marche, vers la lueur opaque qui constitue le plafond, domaine arachnéen. Un accord cotonneux est égrené à l’infini sur un piano qui n’existe plus que dans un lointain souvenir. Chopin est amnésique. Une lucarne, seul estuaire extérieur, donne sur une rivière de roses qui, plus haut, s’abîme dans un torrent de boue. Et puis surtout, elle est là ! Au fond de la pièce, mais au centre de la scène : la pendule. Ici, le temps ne s’écoule plus, il s’effondre ! Le tic-tac mécanique résonne en vous comme autant de portes qui claquent. C’est tout cela une solitude, nichée au fond de soi. Tout à la fois mère, maîtresse et confidente, vous déchirant la poitrine pour mieux vous enlacer le cœur. La main mise faite, elle s’ankylose aussitôt et, telle les eaux troubles d’un marécage, stagne.

 

 Les premiers temps sont confortables, les mots ne sont pas de mise, les courroux insondables s’effacent, les notions disparaissent. Seul persiste ce qui nous a mené là, renforçant les remparts comme pour ne pas s’avouer vaincu, même après s’être reconnu dans l’erreur. Les erreurs ne le sont qu’au travers du jugement des autres. Il n’y a personne pour porter un regard critique sur la démarche. Enfin seul au monde ! Perdu sur un îlot sans rivage, un rivage sans mer, une mer sans îlot, les repères n’existent plus. Mais bien vite, tout se dérègle. Prévisible ! Cette solitude cesse d’être une condition et devient un état – totalitaire de surcroît – sans dictateur, anarchiquement organisé et profondément désœuvré. Ce havre de paix, inconsciemment façonné, apparaît comme le centre de la misère humaine, le seul endroit fréquentable, et le seul fréquenté. Au fil des jours, les remparts s’effritent, la pluie s’y est infiltrée, laissant apparaître les fissures. Ensuite cèdent les digues, sous le poids des regrets, noyant les illusions et la frêle chaleur du feu, sans la décrue annoncée. Chopin, quant à lui, a laissé sa place à Mussorgsky, qui prend un malin plaisir à vous emmener de promenades en promenades. Rien ne se fige plus, tout se répète. Un cercle sans vice puisque sans plaisir, une étendue néantisante sans lendemain puisque sans hier. La crudité de sa cruauté plonge l’existence dans  l’horreur quotidienne, comme un mal lancinant dont il est impossible de se défaire.

 

Cela fait maintenant plusieurs mois que les eaux ont pris leurs appartements jusqu’à hauteur d’escalier. Sans plus jamais bouger, dépossédées de toute vie, elles sont confondantes de silence. Les premières heures de cohabitation entre ces eaux, ces hauteurs arachnides, ces promenades incessantes et moi ne furent pas de tout repos, mais l’habitude prend le dessus sur tout. Cette pièce unique, à l’abstraction opulente, est une terre d’asile aux portes de la folie. Les regards que me portent le peu d’objets présents m’indiquent que je ne suis plus le bienvenu, mais plus je cherche cette sortie que chacun semble m’indiquer et plus je me perds. Un dédale complexe, sans point de départ, sans point d’arrivée, qui s’octroie le droit de m’égarer dans mes propres errances. La profondeur de l’endroit se jauge à la clarté qui dépérit, rien n’est plus visible au delà de deux mètres, et pourtant tout continue. Seuls quelques moments – trop rares –  de clarté viennent en irradier les recoins, mais la nuit tombe ici plusieurs fois par jour et ne laisse que peu de répit. La solitude est une vieille demeure bâtie sur nos seules frustrations, et rien n’est plus solide que les frustrations.

J’ai 36 ans. C’est ici que j’habite. Et je ne suis toujours personne.

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P
<br /> C'est tout ?<br /> <br /> <br />
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C
<br /> mé heu.. c'est encore fini ? c'est le blog de Chevènement ou quoi ?<br /> <br /> <br />
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O
<br /> Tu es encore parti ?<br /> <br /> <br />
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B
<br /> Depuis quand tu habites chez moi?!<br /> <br /> <br />
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