JIMI HENDRIX - West Coast Seattle Boy
Je suis toujours impressionné de voir à quel point certains morts ont encore et toujours des choses à dire. De leur vivant, ils ont eu le temps de pondre quelques albums, parfois essentiels, d’autres fois plus anecdotiques mais ayant rencontré un certain succès, et pourtant, le discographie ne cesse de croître. Celle de Jimi Hendrix prend des allures gargantuesques entre les albums officiels, les rééditions, les coffrets d’inédits, les bootlegs et autres compilations. Trois albums studio, un Live. Voilà tout ce que Jimi Hendrix a sorti avant de calancher. J’ai compté, par curiosité, le nombre de disques que je possédais de lui, et je suis pas loin de la trentaine.
Et juste avant noël, voici qu’à peine un an après une nouvelle compile censée renfermer des inédits à la pelle (Valley of neptune), un coffret de haute voltige voit le jour. Il convient, dès le départ, de dissiper le moindre malentendu : ce n’est pas une compilation, et donc, le terme « Anthology » est ici légèrement galvaudé. Aucun titre présent (à l’exception du premier CD) n’a déjà été publié officiellement. Pour autant, il ne s’agit pas d’inédits, mais bien de versions alternatives, de Live, de chutes de studio, etc… Bref, cet objet n’existe que pour le fan de base qui souhaite avoir tout de tout de tout, y compris Jimi sous sa douche. Preuve en est : « Play that riff » et ses 37 secondes, qui peuvent paraître sans grand intérêt, et pourtant, on sent là, qu’il tenait à nouveau un début de quelque chose. Heureusement, tout n’est pas aussi anodin.
Le premier CD regroupe donc ses enregistrements au sein de différentes formations. Les plus marquantes restent ses participations aux enregistrements des Isley Brothers, le « Testify » d’introduction dépote une Soul énergique digne du meilleur de Stax. On croirait entendre Otis Redding avec le Booker’T and the Mg’s en arrière plan, mais avec la rythmique si particulière d’Hendrix en supplément. D’ailleurs, outre la qualité intrinsèque des chansons, ce qui est vraiment passionnant, c’est d’entendre le jeu d’Hendrix évoluer, et de noter les nombreuses particularités que l’on retrouvera dès ses premiers enregistrements solos. « Mercy, mercy » de Don Covay se love tout en volupté, mais on peut surtout sentir pourquoi, rapidement, Hendrix va se sentir à l’étroit et avoir besoin de s’exprimer plus librement. Sa guitare semble déjà vouloir déborder de partout alors qu’on lui demande de ne pas dépasser du cadre. « SHe’s a fox » des Icemen vous laisse percevoir le futur sublime « Little Wing », et la souplesse du jeu est déjà là. Tout est en place, ou presque. C’est avec Little Richard qu’il semble le moins libre de s’exprimer, et avec Frank Howard qu’il donne dans le plus conventionnel (« I’m so glad » donne l’impression de sortir des usines Motown), mais ce passage lui permettra de rencontre Billy Cox, futur membre du Band of Gypsy qu’il connaît depuis l’armée. Bref, tout cela est intéressant et agréable à écouter, mais dans la majeur partie des cas, il n’y a pas grand-chose de transcendant si l’on cesse de focaliser sur la guitare d’Hendrix.
C’est avec le reste du coffret que les plus férus d’Hendrix vont se régaler. Les trois CD regroupent donc un nombre considérable de prises alternatives (parfois anecdotiques comme le « Fire » qui ouvre le bal et qui offre une version plus lente et plus courte d’un morceau pourtant rageur…rattrapé plus loin par une version Live totalement hallucinante !) qui donnent malgré une vue d’ensemble sur le travail d’Hendrix. Car ce coffret se veut avant tout une présentation du boulot studio du musicien. On y entend certains morceaux dans des versions différentes, qui cherchent leur voie. En cela, on peut rapprocher ce coffret des bootlegs de Dylan ou du Triptyque « Anthology » des Beatles. Mais il y a aussi des versions plus brutes de décoffrage, comme cet « Are you experienced ? », instrumental, et sans overdubs, qui donne à entendre un groupe en répétition. Mais là où c’est intéressant, c’est qu’il ne s’agit d’une prise ratée, d’un truc qui s’arrête en plein milieu… Non, c’est bien un travail de répétition, de recherche. Les parties les moins intéressantes du coffret restent les Live, qui n’apportent pas grand-chose tant il existe des disques live de la quasi-totalité de son répertoire.
Ensuite, il y a les inédits. Finalement relativement nombreux. Pas tout mémorables, il est vrai, mais pas complètement anecdotiques non plus. Et puis, il y a quelques versions en duo, avec deux guitares, et un harmonica qui valent le déplacement, comme « Tears of rage », « Hear my train… » ou « 1983 » réduit à sa plus simple expression sur à peine 4 minutes, Hendrix, seul avec sa guitare s’avère plus émouvant et quitte un instant cet aura presque mystique.
Peu de doublons. On évite donc les innombrables versions d’un même morceau qui n’apportent souvent pas grand-chose (grande spécialité des rééditions des disques de jazz) et le coffret se termine sur une note acoustique, « Suddenly November Morning », plutôt agréable, même si le morceau n’a rien d’exceptionnel.
Mon seul bémol, c’est avant tout le DVD qu’il concerne. Bootsy Collins, en mode ralenti, raconte, à la première personne, la vie de Hendrix…. Ou plutôt, la survole. On y apprend qu’il a été parachutiste engagé, mais qu’il s’est pété la cheville, et que c’est pour cela qu’il n’a pas fait le Vietnam… Bref, concrètement, on n’apprend rien. On regrette que les extraits sur scène soient systématiquement tronqués, et surtout, on regrette que les documents présentés soient archi connus, alors qu’il existe de nombreuses images d’archive, notamment des passages Télé, qui restent à ce jour inexploitées. Une heure et demi limite soporifique, qui ne parle pas de grand-chose, ni de l’évolution d’Hendrix, ni de sa technique, ni même de sa façon si particulière de composer… Décevant, et relativement inutile pour un fan. Evidemment, si vous entrez dans l’univers d’Hendrix, vous allez apprendre pas mal de choses, mais soyons clairs, ce n’est pas avec ce coffret qu’il faut entrer dans l’univers d’Hendrix.
Je n’ai, pour ma part, pas fini de faire le tour de ce coffret que je trouve réellement passionnant, car il offre une vision vraiment fascinante sur le travail en studio du grand Jimi, et sur sa capacité à improviser et à se réinventer.