La beauté de Tom Waits

Publié le par Esther

Il pleut. Enfin ! Le col remonté pour parer à la fraîcheur revenue, je descends la rue jonchée de saloperies. Les retours sont de plus en plus difficiles à avaler. Je n’arrive plus rien à avaler justement, depuis quelques jours. A part cette petite boîte qui m’offre chaque soir le sommeil et que j’ai parfois envie de gober telle une boîte de tic-tac.

 

A peine levé, je cours. Après mon café, après ma douche, mes fringues, mes clés, mon bus. Carcasse détrempée, je longe la rue qui me mène vers la même chose. Les rues sont des miroirs refermés sur eux-mêmes qui reflètent ad libitum le bitume, les traces de pas, de vomi, de vie ratée, de négligence et d’hystérie collective contre les vitres du monde et les abris-bus. Je passe les intersections sans me soucier des automobilistes. Peuvent bien me faucher, le monde ne s’arrêtera pas de ne pas tourner rond pour autant.

 

J’évite les nouvelles.  A quoi bon ? En gros, un môme s’est fait poignardé pour un portable qui vous refilera une tumeur à la moindre occasion devant une maison en feu à l’autre bout d’un pays qui croule sous les tsunamis nucléaires bercés aux sons de la mitraille qui déverse le sang des consommateurs à outrance, etc… Et vice-versa.

 

La clé dans la serrure. J’ouvre mon bureau. Ordinateur, téléphone, bouteille d’eau. Mon sort est scellé pour la journée. Crever à feu doux, plutôt que d’avaler sa boîte de tic-tac. Pourquoi pas.

 

Et au milieu de tout ça ? Tom Waits. Qui accompagne mes voyages, mes journées, mes soirées. Qui ne me lâche pas d’une semelle depuis des lustres maintenant.

 

Il pleut donc ! Le col remonté certes ! Mais je n’ai pas de parapluie. Qu’importe. L’arrêt est à deux pas. En quelques minutes, sa voix éraillée s’immisce dans ma vie pour la énième fois et il m’envoie en plein cœur ses mélanges de blues, de jazz, de chansons, sa palette de couleur… Il peint sa musique pour qu’elle se pose directement sur mon âme. Je pourrais m’adonner aux vains plaisirs des musiques faciles qui sont faites pour larmoyer à grands renforts d’artifices, mais Tom Waits n’en fait pas des tonnes, il bouleverse à chaque coin de rue.

 

Il pleut ! De plus en plus. Bien qu’à quelques mètres, l’arrêt n’est pas assez proche pour que j’évite le gros de l’averse, et me retrouve trempé comme une souche, mais cela n’a pas d’importance. Ca tombe même plutôt bien. Temps de chien ! Pluie de chien ! « Rain Dogs ». Non, je ne vais pas faire dans la vaine chronique musicale. Ce disque est trop intouchable. Parfait de bout en bout. Parfois bancal, avec ses percussions étrangères, avec ses accords tacites, avec cette voix qui hurle d’une voix rocailleuse des chuchotements renfrognés, avec ces mélodies insaisissables et parfaites.

 

« Hang Down Your Head » et me voici dégoulinant en attendant le bus. La pluie, comme toujours, s’est arrêtée, une fois l’abri atteint. Putain, je m’en fous. Une pneumonie foudroyante peut bien me terrasser tant qu’elle me laisse 2’34’’ de bonheur à savourer avant de calancher. Chanson parfaite, mélodie parfaite, instant parfait. Je me fous de tout ou presque.

 

La clé dans la serrure, « Hang Down Your Head » résonne à nouveau. Je l’ai remise avant de m’asseoir au bureau. Sur ma joue coule encore une goutte de pluie. A moins qu’il ne s’agisse que d’une larme.

Publié dans Pop-rock

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